In god's hands

Année 1031 – 25ème  jour du Mois des Croisades.

L’odeur de sang. Prégnante, métallique. La puanteur aussi, celle des viscères qui se relâchent. Les moribonds couvraient de leurs dépouilles mutilées la plaine en contrebas de la bourgade de Merunes. Située à une vingtaine de polacs d’Inaccessible, sur la frontière de guerre entre l’Hégémone et Pôle, l’endroit ne te faisait pourtant pas l’effet d’un village méritant un tel carnage. Avis non partagé par les autorités Dérigionnes, puisqu‘un décideur des cénacles politiques de Pôle avait apparemment jugé utile de détacher trois compagnies de mercenaires pour affronter les armées de la légion Vorozionne pour la défense de Merunes. Du gâchis à ton avis. Les mercenaires de Morte-lune, ta propre compagnie, s’étaient-eux engagés aux côté des forces de l’Hégémone Vorozion. Vous avez par conséquent été envoyés en première ligne contre vos semblables, chair à canon désignée pour satisfaire au carnage, avant que la légion vorozionne ne viennent écraser les restes amoindries des mercenaires à la solde des Dérigions. Un vrai massacre.

Tu as chargé au côté de Sofiane le fol, un Batranoban surnommé ainsi pour son côté risque-tout dans la mêlée, ainsi qu’avec Melchior, Dérigion apparemment peu gêné par le fait de s’en prendre à sa propre nation. Il y a bien longtemps que Morte-lune était devenue son seul et unique foyer. Heureusement pour lui, sa mort lui aura épargnée de constater la dissolution forcée de la compagnie. Des 120 mercenaires de Morte-lune engagée dans la bataille, tu figures parmi les trop rares survivants. L’assaut, aussi brutal qu’intense, n’avait épargné que peu de tes partenaires. Tu aurais toi-même rejoint les rangs des moribonds si le courageux et jeune Gadhar  porte-étendard de la compagnie n’avait pas empalé le Thunk qui s’apprêtait à te porter un coup vicieux entre les homoplates.

Tandis que tu contemples ce qui peut désormais être décrit comme un atroce charnier, le jeune Askadho vient justement se glisser à  tes côtés. Frêle jeune homme en pleine adolescence, tu ne sais pour quelle raison le Gadhar s’est pris d’affection pour toi et semble vouloir faire de toi une sorte de mentor.

- Maître Skar,  le Venicius de la légion Condor souhaite évoquer avec… la gorge du jeune noir semble se serrer…  avec les survivants de Morte-lune le contrat qui liait la compagnie à l’Hégémone. Il a dit qu’il désirait vous rencontrer dès à présent.

L’héritage de Morte-lune est désormais bien maigre, songes-tu, alors que tu fais mouvement en direction du campement Vorozion aux tentes parfaitement alignées. C’est à ce moment que la voix résonne dans ta tête :

Hé, toi !  Oui, toi. Approches. Là, sur ta droite.

Hypnotisé par la voix à la fois troublante et suave, tu te diriges vers la direction indiquée. C’est à peine si tu entends l’interrogation étonnée d’Askadho :

-Maître Skar ?

Au détour, d’un court escarpement, tu tombes sur cinq cadavres, victimes des combats. Difficile de dire de quel bord se trouvaient les uns et les autres. Ainsi en va-t-il de la guerre, quand elle arrive à son issue, les camps adverses se rassemblent tous sous l’étendard de la mort.

Elle est là, tu ne vois qu’elle.

Hé bien approches, qu’attends-tu ? Tu comptes me laisser ici seule et désespérée alors que je pourrai être à toi ?

A nouveau ce ton hypnotique et mielleux. Une voix féminine d’une clarté et d’une beauté captivante. Tu n’as aucun mal à repérer la source de cette communication intangible : plantée dans le corps d’un homme qui devait être de son vivant un colosse, l’épée est d’un genre que tu n’as jamais vu. La garde est suffisamment longue pour accueillir deux mains. Le sommet de la garde représente un griffon soigneusement ouvragée, mais le plus étonnant est la matière de la lame. D’un gris rougeâtre, tu n’en as jamais vu de semblable. Tu sais ce qu’est une arme-dieu, tu en as déjà vu à de nombreuses reprises même si tu n’as jamais été un porteur, mais tu n’en as jamais vu une semblable à cette lame. Tu en es là de ta contemplation lorsque qu’on te rejette violemment de côté.

Askadho.

Le jeune Gadhar, comme hypnotisé, se dirige vers l’arme et tu n’as aucun mal à deviner son intention de s’en emparer.

Tu vas laisser ce jeune puceau s’emparer de ma puissance ?

A nouveau cette voix si… séduisante…

[ J’ai arbitrairement nommée la compagnie de Mercenaires dont tu fais partie Morte-lune. Considères que tous ces membres sont morts au cours de l’affrontement auquel tu viens de participer. Tu peux ajouter des personnages comme son chef à ton RP si tu le souhaites, pas de soucis !
Note : Durant le mois des croisades, le désir de pouvoir est exacerbé. Les gains et les pertes de tension liés au désir de pouvoir sont majorés de 1.
Précisions : Un venicius est l’équivalent d’un général de légion dans l’armée de l’Hégémone vorozion.
Le polac est à la fois une sorte de bovidés laineux particulièrement fréquent sur Tanaephis, et aussi une unité de mesure, qui correspond à la distance parcouru par ce même bovidé au cours d’une journée.]

Encore haletant et le visage ivre de sueur et de rage, je retire dans un cri rauque mon énorme épée du crâne de mon dernier ennemi. Le combat est terminé, et la fureur du loup se dissipe peu à peu, faute d'ennemis encore en état de combattre.

Je prends alors le temps de laisser courir mon regard blanc-bleu contrastant avec ma peau mate sur ce champ de cadavres qui s'étend maintenant à perte de vue. Melchior git non loin, la gorge tranchée, le regard dans le vide. Sofiane est à ses côtés, transpercé d'une vingtaine de flèches noires. Il fallait bien cela pour abattre Le Fol. L'odeur de la Mort plane au dessus de nous, comme le fumet d'un banquet en son honneur.

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été un Mercenaire. Notre besogne est dans la mort, et la mort est notre dû un jour ou l'autre. C'était mon paternel qui m'avait appris ce dicton. Mais je ne peut m'empêcher de me dire que cette offrande est un trop lourd tribu à la faucheuse pour un contrat aussi futile. Aucune gloire dans cette bataille.

Je secoue la tête, et décide d'ignorer ces pensées parasites pour me concentrer sur le présent. Destinée ou talent, je suis encore en vie, et mes blessures ne sont que superficielles. Je suis un prédateur, et tuer est sûrement ce que je fais de mieux. Passant devant les corps avec un pli de contrariété barrant mon front, je plante mon épée dans un des soldats Derigions dont le râle et le craquement d'os mettent fin à ce qu'il restait de son souffle.

La voix d'Askadho, mon "sauveur", vient glisser jusqu'à mon oreille. Pris dans mes pensées, je ne l'avais pas entendu approcher. Ses nouvelles autant que sa façon de m'appeler Maître m'agacent. Ce jeune guerrier s'est épris de moi comme une vierge qui s'entiche d'un homme plus vieux, et je déteste cette sensation de lien qu'il essaie de tisser. Je réfléchis un instant, tout en cherchant Azim du regard. Rien. Notre chef ne donne aucun signes de vie. Et le temps de le chercher, les choses pouvaient très bien empirer pour nous. Nous devions nous regrouper. Tant pis si je devais être maintenant le porte-parole de la meute de Morne-Lune.

Je regarde le Ghadar un instant de mes pupilles bleues claires, et annonce d'une voix monocorde et grave :
- Allons-y.

Simple, direct et sauvage, ma seule façon de parler la plupart du temps quand je m'adresse à mes compagnons. J'avance donc avec un des seuls survivants de notre Compagnie de mercenaire vers les tentes de ceux qui avaient loué nos services. La paie avait intérêt à être bonne.

C'est alors que la voix s'élève. Je fronce les sourcils, mais instinctivement je sais. Un frisson dans la colonne. Malgré tout, attiré par cette voix, je me dirige vers elle, n'entendant même plus la voix de mon compagnon d'armes. En montant, au milieu de cinq cadavres, je la vois. Belle comme seul la Magie de ce monde peut rendre une arme belle. Complètement hypnotisé, je reste là à l'observer, comme un trésor qu'on a longtemps attendu.

Ma transe est malgré tout brisée par la bousculade du Ghadar. Et tandis que je l'observe, je me rends compte du sortilège qu'engendre ces armes-dieux. Plusieurs choses se mêlent alors. Curiosité. Amour. Haine. Mais surtout je constate à quel point je ne désire pas ces chaînes mentales qui pourraient me relier à elle.

Citation :

Tu vas laisser ce jeune puceau s’emparer de ma puissance ?

Cette voix. Si belle qu'elle ne peut pas sortir d'une bouche humaine. Si chaude, elle pourrait me faire oublier un instant mon fardeau et me laisser penser qu'un autre monde plus beau existe derrière toutes ces ténèbres. Mais le Loup est toujours là. Farouche. Indomptable. Et il me souffle de ne pas l'écouter.

Toutefois la phrase tourne dans ma tête. Puceau. Tout à coup, je me rends compte que sans tarder, l'un de nous va devenir le porteur de cette arme. Et malgré tout l'attrait que je peux ressentir en ce moment même, une seule pensée vient me troubler. Un seul mot. Puceau.

Si je laisse Askadho prendre cette arme, il mourra sûrement dans peu de temps, et ce ne sera pas beau à voir. J'ai entendu beaucoup de récits sur les porteurs d'armes. La jeunesse inexpérimentée mène en général à sa mort avec une telle puissance. Etait-ce le sens de sa phrase ?

Je ne réfléchis plus. Je sais ce qu'il me faut faire. Pour son bien (ou pour le mien ?), il me faut prendre cette arme à sa place. D'un mouvement de mon bras mon espadon décrit alors un arc de cercle jusqu'à ce que la lame s'arrête à quelques millimètres de sa gorge, le stoppant net dans sa quête.

Mon regard clair n'a pourtant jamais été plus sombre et menaçant qu'en cet instant. D'un ton lugubre j'annonce au jeune guerrier :
- J'ai perdu suffisamment de mes frères aujourd'hui...

Mon ton est explicite, ma menace n'est pas plus voilé qu'une pute d'un bordel d'Innaccessible. Je rajoute alors :
- Pars devant, et annonces ma venue.

Le marché est plus clair que le bleu de mes yeux qui transpercent le jeune noir : partir. Ou mourir. Bien sûr, je le fais pour lui. Il ne mérite pas un tel fardeau, une telle malédiction. Et je suis plus à même que lui de Maîtriser cette lame sans qu'elle ne me tue.

Oui...Bien sûr...Je fais ça pour lui.

Ta lame se glisse sous la gorge du jeune noir avec la vitesse et la précision que seule l’expérience peut offrir. Askhado stoppe immédiatement son mouvement et son regard croise le tien. Pour la première fois depuis que tu connais cet adolescent, tu peux y lire que la haine a remplacé l’admiration. Le défi ne dure que quelques secondes, mais la tension en est presque visible et palpable dans l’air froid de cette matinée d’après-combat. Enfin, le jeune noir baisse les yeux tandis que tu lui donnes tes ordres, sans relâcher la pression que la paume de ta main exerce sur la garde de ton épée. Ses yeux se tournent alors vers l’arme-dieu, étrangement silencieuse. Un instant, tu penses qu’il va se précipiter vers la longue lame et ne te laisser guère d’autres choix que de tuer le porte-étendard d’une compagnie de mercenaires à présent dissolue. Pourtant, ses épaules s’affaissent et, vaincu, il se détourne de l’arme.

- Bien maître. Excusez-moi… Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Il fait demi-tour et s’éloigne d’un pas qui ressemble plus à une fuite qu’autre chose. Reste à savoir qui le jeune Gadhar s’empresse de fuir.

Un rire cristallin ne résonne que dans ton crâne, tu le sais.

- Excellent ! Tu as réussi à t’en débarrasser sans le tuer. Je pensais que tu n’étais pas le genre d’homme à épargner le menu fretin. Maintenant approches-toi et rends moi ma liberté, je m’ennuie plantée dans ce corps sans vie.

Comme hypnotisé, tu rengaines ta propre lame et t’approche à pas lents de l’étrange épée. Ta main gantée se porte vers sa garde au griffon, comme si le temps s’était suspendu. Enfin, tes doigts se referment et tu extirpes l’arme-dieu de la dépouille où elle était enchâssée. Presque à ta propre surprise, il ne se passe rien. Tu relèves la lame pour qu’elle soit face à ton visage. Une nouvelle fois tu t’émerveilles du matériau dont elle est forgée. Il semble s’agir d’un pierre grise aux reflets rougeâtre, parcouru de quelques aspérités. Tu te souviens alors de légendes qui étaient parfois contées au coin du feu lors des bivouacs de Morte-lune : des armes forgées dans la pierre des météores issues des trois lunes qui veillent sur le continent : Oephis, Naenerg et Taamish. Tu crois même te souvenir que l’on prête à ces armes des capacités spéciales, et que certains membres de la compagnie affirmait que son fondateur était le porteur d’une telle arme. Tu n’as le temps de plonger plus avant dans tes souvenirs épars que ta nouvelle compagne reprend la parole :

- Alors, comment tu me trouves ? te dit-elle sur le ton d’une jeune femme se pavanant devant toi. Et puis ce rire cristallin, un rien moqueur et aguicheur. Comment t’appelles-tu beau blond ? J’espère que tu seras un peu plus débrouillard que mon précédent porteur. Combattant déplorable à l’intelligence proche de celle d’un polac. Dis-moi, j’espère que tu n’es pas taillé de ce bois-là ?

Court silence dans ce monologue prolixe, comme une attente d’une réponse et d’éventuelles questions…

Je regarde partir le jeune gadhar et mes muscles se relâchent de l'appréhension de tuer un des miens.

Le rire cristalin de l'épée — Est-ce vraiment elle ? — emplit mon esprit, et elle s'adresse alors de nouveau à moi. Sa voix est sensuelle. Hypnotique. Je ne peux résister plus longtemps à l'envie de tenir cette arme. Serais-je capable de lui résister ensuite, où viens-je de m'attacher une laisse dont plus jamais je ne pourrais me débarrasser ?

Malgré les appréhensions du Loup qui m'habite, dans un moment d'éternité je saisis la garde et tire pour l'enlever du corps sans vie. Étrangement, je ne ressens rien. Ni extase, ni épiphanie mystique. Juste un frisson tandis que je m'en empare, comme le butin d'une existence entière. Si légère. Si puissante. Réflexe martial, j'en observe la lame au matériau si étrange. Un éclat de Lune, si les légendes disent vrai. Une arme ultime. Je la fait tournoyer comme seul un guerrier chevronné peut le faire, testant son équilibre parfait. Et elle l'est. Une perfection si complète que j'en ai presque la chair de poule.

Elle continue de parler, et je n'arrive rien à faire d'autre que l'écouter, mon esprit totalement subjugué par son timbre envoûtant. C'est ainsi que les Dieux parlent ?

Son emprise sur moi s'atténue légèrement lorsqu'elle évoque son précédent propriétaire, et comme un mâle jaloux d'un ancien amour de sa conquête, je suis...Vexé ?

Je secoue la tête pour tenter de retrouver mes esprits, mais cette passion dévorante ne se relâche que pour que je puisse parler. Que répondre à ça ? Que répondre à une Déesse qui a la forme d'une arme lorsqu'elle pose une question si...Banale ?

Le loup se réveille alors, écumant de rage, claquant de sa mâchoire qui est la mienne. Je ferme les yeux. J'ai du mal à m'exprimer clairement, arrivant juste à articuler de façon décousue :
- Je suis...Skar ! Le Loup sanguinaire. Pas aussi faible. Pas ton...Pantin...Tu...Ne..Me...Rarghl...Contrôleras pas !.., Dis-je dans une formidable poussée d'une volonté indomptable. Et tandis que ma colère se raffermit, serrant la garde comme pour l'étouffer ou l'obliger à m'obéir, je crache presque dans un élan de colère dominatrice : ...Femelle...Sors de ma tête, Sorcière ! TU ES A MOI ! A MOI !, finis-je avec un accent de folie bien involontaire dans la voix, comme la conviction d'une victoire dans un combat qui n'a même pas encore commencé.

Un silence. Puis un rire léger.

- Ouh, mon grand Skar est un caractériel, c’est très bien ça. Tu sens comme un frisson qui traverse la garde de l’arme que tu tiens dans ta main. Mais il ne faut pas te fâcher comme ça, qui a dit que l’un d’entre nous appartenait à l’autre? Ce ne sont pas des façons de penser pour un homme de ta stature, Skar. Je préférerai que tu vois notre rencontre comme le début d’une longue et fructueuse collaboration.

Voix enjôleuse, sensuelle, presque charnelle.

- Je me nomme Eclipse et tu n’as pas idée d’à quel point me porter à ton flanc va transformer ta vie, mon loup sanguinaire. Tout va changer autour de toi.  Je suis un Dieu, Skar, ou une Déesse selon vos critères de genre. Je suis capable de réaliser des choses qui dépassent ton imagination. Mais j’ai besoin que tu me rendes un service avant, Skar. A dire la vérité, je pourrais t’y contraindre, mais je préfère que tu l’acceptes de toi-même. Laisses moi donc te conter une partie de l’histoire d’un Dieu.

Courte pause.

- Il y a des années, nous fûmes quatre à nous incarner dans des armes pour comprendre votre monde. Je m’incarnais dans cette lame que tu tiens, ma jumelle Orion choisissait un sabre elfique, Mouleh s’incarna lui dans une terrible hache de bataille gadhar et enfin Anathos prit pour réceptacle une épée longue. Nos noms retentissent encore dans les légendes des guerres qui opposèrent les Piorads aux Thunks. Mais les Dieux sont également doués de sentiments, Skar. Pas à la manière que vous pouvez imaginer, vous, créatures mortelles. Or, Anathos s’était pris d’un sentiment amoureux pour Orion, un amour qui pourrait te paraître étrange et désincarné, mais un sentiment puissant. Cet amour vira à l’obsession et Anathos devint jaloux d’Orion, fissurant peu à peu notre coterie.  Mais jamais nous n’aurions imaginé que l’obsession d’Anathos le conduirait à la folie. Ce dernier soupçonnait Orion d’éprouver des sentiments pour Mouleh et il profita d’une bataille à laquelle nous participions tous pour faire tuer nos différents porteurs de l’époque. Il  s’empara ensuite d’Orion à l’aide de son porteur et alla jusqu’aux confins du continent pour la jeter dans la mer.

Impossible de manquer la froideur qui vient de s’emparer de la voix pourtant si harmonieuse et sensuelle d’Eclipse.

- Mouleh et moi-même avons depuis juré de venger Orion. J’ai retrouvé Anathos. Il est désormais dans les mains d’Herasmus, un membre du conseil des Vorhs. Il s’est trouvé un porteur puissant, mais là n’est pas la question. J’ai contacté Mouleh et nous nous sommes fixés rendez-vous ici. J’ai pu expliquer à Mouleh ce qu’il en était d’Anathos et nous devions nous retrouver à l’issue de la bataille pour lancer la traque. Malheureusement mon imbécile de porteur est décédé au cours de l’affrontement. Je dois retrouver Mouleh afin que nous puissions mettre en place un plan et j’ai besoin de toi pour cela, car le contact avec Mouleh est rompu, ce qui ne peut signifier qu’une chose : il est sorti de mnotre champs de communication pour une raison que j’ignore.

Nouveau silence, qui vise vraisemblablement à te laisser digérer cette masse d’informations. Puis, à nouveau cette voix enjôleuse.

- Mon loup sanguinaire, je t’assure que tu as tout intérêt à répondre positivement à ma demande. Et sur la mémoire de ma jumelle perdue, je te devrais une faveur. Ne souhaites-tu pas faire l’objet de la faveur d’un Dieu, Skar ?

Note : La pire chose qui puisse arriver à une Arme-Dieu est de finir au fond d’un océan. Il est en effet difficile d’y trouver un nouveau porteur. C’est pour cette raison que la plupart des armes évitent les zones nautiques.

Malgré ma rage, je ne peux m'empêcher d'écouter cette voix. Le contact de l'arme est sensuel, presque charnel. Est-ce mon imagination, ou vois-je les scènes que me décrit Eclipse ? Difficile à dire, mais l'effet est saisissant, et je me sens comme happé par ce mythe, comme si j'y avais participé. Le récit me parle, et j'en saisi à la fois le sens et l'importance aussi bien que si j'étais elle.

Le retour à la réalité est brutal, et me laisse un goût de rêverie et de nostalgie. Un lien s'est créé entre elle est moi alors que je viens à peine de rencontrer cet être divin. Si ça en est un..., me dis-je quand même avec prudence, et une certaine forme d'appréhension. Mais même si je n'aime pas cette sensation, même si je déteste être pris à la gorge, je ne peux nier que tout cela avait l'air si...Réel.

L'habitude m'a appris à ne pas trop penser. Lorsque l'on est un guerrier comme moi, la réflexion est une arme à double tranchant qui peut tout aussi bien attirer la mort à vous. Mais la question d'Eclipse mérite que je laisse s'égarer mon esprit un moment.

Un service d'un Dieu. Certains y verraient pouvoir et richesse. J'y vois le Savoir des Dieux, et le Loup ne peut s'empêcher de frissonner en pensant aux combats qu'il pourrait livrer à l'aide d'une arme divine. Mon clan, ma meute, vient d'être décimée. Plus rien ne m'attache à ces terres ni à cette bataille. Je suis maintenant un Loup solitaire.

Je reviens à moi peu à peu, perçant le voile brumeux de mes pensées désordonnées. Odeur pestilentielle d'un charnier. J'ai d'autres problèmes à régler avant de pouvoir me libérer de mon serment à la meute. Je dois bien cela à ceux qui m'ont accueillis et élevés parmi eux comme un frère. Je serre la garde de toute ma résolution. Poigne rassurante mais ferme d'une ferveur et d'un calme restaurés.

J'annonce alors :
Très bien, Eclipse. Je t'aiderais dans ta quête. Mais j'ai d'abord une affaire à régler..., dis-je en récupérant le fourreau de l'arme. J'essuie alors consciencieusement la lame d'Eclipse avant de la mettre avec précaution et une certaine forme de douceur virile dans son écrin.

Puis je me dirige d'un pas assuré vers le camps Vorozion, et plus précisément la tente du Venicius.

Une impression étrange et irréelle me transperce les tripes. La sensation d'être possédé ne m'est pas inconnue. J'y suis même habitué depuis mon enfance. Mais le contact avec cette épée sur mon côté, que je ne peux m'empêcher de tenir, est différent. Je peux sentir sa puissance palpiter dans ma main caleuse. Je peux sentir ses pensées, ses désirs.

Suis-je moi aussi devenu un Dieu ? Je sais que non, mais c'est avec la même assurance que je pénètre dans la tente du Venicius. Comme si ce monde devenait mien. Comme si rien ne pouvait plus désormais m'arrêter. Et au fond de moi, la rage gronde plus fort qu'elle ne l'a jamais fait...Vorozions de malheur...Mes frères sont morts dans ce combat inutile...